Histoire

Richard Paterson : un nez pour le whisky

Les attentes étaient à leur comble parmi les membres de la presse flamande, dont Trends Style, rassemblés ce jour-là à Zaventem. Le lendemain, nous allions faire la connaissance de Richard Paterson, maître distillateur surnommé Le nez de Dalmore – clin d’œil à son organe olfactif fameusement hypertrophié, plaisantera-t-il lui-même, bien que nous l’ayons trouvé à vrai dire fort seyant. Quoi qu’il en soit, chapeau bas pour sa brillante maîtrise du whisky.

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Après un atterrissage en douceur à Édimbourg, un petit autocar nous a menés vers les Highlands écossais en passant par le Loch Ness (non non, on ne l’a pas vu), direction le nord, Alness et la distillerie The Dalmore, qui produit un whisky single malt depuis 1839. Jusqu’en 1960, avant son acquisition par White & Mackay (United Breweries Group), c’est le clan écossais des Mackenzie qui en avait tenu le sceptre artisanal durant près d’un siècle. Il avait repris l’entreprise alors moribonde pour la reconstruire.

Du nectar dans de minuscules bouteilles

Nous avons logé dans le sympathique Dornoch Castle Hotel, à une petite heure d’Inverness. Cette soirée-là au bar a aussitôt donné le ton de la visite du lendemain à la distillerie The Dalmore, implantée au bord de l’estuaire du Cromarty Firth. Deux jeunes loups derrière le bar de l’hôtel avaient remarqué que le petit groupe venu de Belgique comptait quelques vrais connaisseurs de whisky. Voyant progresser notre dégustation de bouteilles de mieux en mieux cachées, ils se sont mis à nous servir quelques spécimens spéciaux. De la dernière variété, il ne leur restait plus qu’un fond de minuscule bouteille sur une étagère perdue. Le verre contenant le précieux nectar passera de bouche en bouche.

Le lendemain, le drapeau belge flottait sur le domaine de Dalmore à Alness, en signe de bienvenue. Richard Paterson nous a reçus en costume noir impeccable, avec pochette et chaussures parfaitement cirées s’il vous plaît. Quand on vous disait qu’il avait un nez pour le bon goût. L’homme est lié depuis 1970 à l’histoire de Dalmore, où il fut tour à tour Master Distiller puis Master Blender. Comme pour briser la glace, il nous confie à quel point il apprécie les différentes saveurs et la qualité de la bière belge, « à condition qu’elle ne soit pas trop amère ». Son allusion à la bière n’est pas un hasard : le processus de production du whisky est largement similaire à celui de la bière jusqu’au stade de la distillation.

Usquebaugh

Mais si nous avons fait le voyage jusqu’aux Highlands écossais, ce n’est pas pour la bière mais bien pour le whisky. « Il y a bien longtemps, le whisky était désigné sous le nom de ‘Usquebaugh’, qui signifiait eau-de-vie en vieux écossais », indique Richard Paterson. Et pour cause : « Lorsque la peste noire a frappé durement l’Europe au XIVème siècle, les moines d’outre-Manche ont tenté de guérir les nombreuses victimes de la pandémie. Ils faisaient boire aux malades un breuvage spiritueux qu’ils avaient confectionné dans leurs alambics (pot stills). Plus tard, leur savoir et leur matériel sont tombés entre les mains de la population, notamment sous les ordres de l’impitoyable Henri VIII. »

« Les Écossais ont donc commencé à distiller eux-mêmes à grande échelle, essentiellement pour gagner leur vie grâce à la vente de whisky. Lorsque les autorités ont commencé à taxer ce produit en 1644, de nombreux distillateurs ont continué à distiller dans la plus grande illégalité. En 1823, l’Écosse comptait plus de 14.000 distillateurs de whisky (et quantité d’alcooliques), mais ce nombre a depuis lors chuté à environ 110. L’homme qui, après l’amateurisme du clergé et des simples mortels, sera considéré comme le pionnier de l’industrie du whisky, est un certain Andrew Usher (1826-1898). »

« Usher est en quelque sorte le Dom Pérignon du whisky », affirme Richard Paterson. « Mais c’est une petite bestiole friande de vignes, le phylloxéra, qui a donné un coup de fouet au whisky écossais. Dans les années 70 du XIXème siècle, ce parasite a dévasté une grande partie des vignobles européens. Un coup dur pour les Anglais qui, en matière de spiritueux, préféraient siroter du cognac (brandy). »

« Lorsque les mercantiles Écossais ont eu vent de la pénurie de brandy, ils ont voulu la combler par du whisky : une opportunité en or, qui sera couronnée de succès. Nous pouvions enfin ‘conquérir’ l’Angleterre. Les principales villes productrices de whisky en Écosse étaient Édinbourg et Glasgow. Aujourd’hui, on consomme plus de whisky que de cognac dans le monde, et même autant de whisky par mois que de cognac par an. »

Le whisky raconte des histoires

C’est aussi à Glasgow que Paterson a entamé sa carrière. Après une première aventure dans l’hôtellerie – « une petite faute de goût », dira-t-il –, il a atterri dans l’univers du whisky et appris, par essais et erreurs, à sentir le caractère d’un whisky et la manière dont il évoluera dans le temps pour devenir de l’or pur. Paterson : « Lorsque je hume un whisky, je suis avant tout curieux de connaître son caractère et l’histoire qu’il est sur le point de raconter. Une histoire qu’il vaut d’ailleurs mieux ne pas écouter seul. Le whisky, ça se partage entre amis. »

Mais en quoi consiste au juste le métier de Master Blender ? Paterson : « Je veille à la qualité, au caractère et à l’identité visuelle du whisky. Je m’assure en outre que les stocks sont suffisants, tant pour la vente que pour l’assemblage. Je consacre énormément de temps à la dégustation, à l’assemblage et à toutes les autres étapes du processus qui suit la distillation. Mais je voyage aussi beaucoup, en quête de ‘nouveaux’ vieux fûts de bois qui procureront aux whiskies leur saveur typique. Selon la nature du whisky et ce que je veux en faire, le whisky mûrit pendant des années dans un ancien fût de vin ordinaire, de madère, de porto ou de sherry. Dans cet ordre ou dans un autre, mais toujours barrique par barrique (single cask), et donc pas uniquement dans des fûts neufs en chêne américain, par exemple. Pour dénicher les fûts les plus appropriés, j’ai déjà goûté de nombreuses centaines de vins sur place, dans les exploitations vinicoles. »